INTERVIEW : Jean-Emmanuel Simond

Par Gabrielle Vizzavona

Jean-Emmanuel Simond ; « Les vins étrangers ne sont pas un effet de mode, ils sont installés et là pour rester »  

 

Quelles activités regroupe votre société, Œnotropie ?

 

J’ai monté Œnotropie en 2005. Au par avant, j’avais travaillé trois ans chez un importateur new-yorkais, Joe Dressner ; l’un des premiers à importer des vins de petits producteurs et un précurseur du mouvement nature. J’ai découvert les vins étrangers aux États-Unis. De retour en France, j’avais envie de retrouver certains vins, mais le marché des vins italiens était alors assez limité, avec des vins d’entrée de gamme vendus par la diaspora à des pizzerias de quartier. Tous les bons vins italiens que j’avais goûtés ne se trouvaient pas en France. J’ai commencé avec un domaine, et je travaille désormais avec une quarantaine de vignerons, Italiens à prés de 90 % complétés par une petite offre de vins d’Espagne, de Grèce, d’Autriche, d’Allemagne et d’Argentine. Tous les ans, j’organise une dégustation pour les professionnels, car il y a encore une forte méconnaissance des vins italiens, donc c’est d’autant plus important de les faire goûter. 

 

Comment sélectionnez-vous votre offre ?

 

Ce sont des vins que je sélectionne personnellement, qui couvrent toutes les régions de la botte. Il y en a pour tous les goûts et de tous les styles, du Chianti à 6 euros aux grands vins comme le Barolo ou le Brunello, avec pas mal de vignerons qui travaillent en viticulture biologique ou biodynamique.

 

Comment le marché des vins italiens a-t-il évolué ces dernières années ?

 

J’ai vu le marché se développer fortement auprès de la restauration, avec les restaurants italiens — qui ont beaucoup progressé sur leur offre gastronomique comme sur leurs cartes des vins — mais aussi les restaurants français, à Paris comme en Province, où ces vins-là séduisent de plus en plus. Cela a ouvert le marché et le nombre d’acteurs à distribuer des vins italiens a fortement augmenté. C’est une concurrence saine qui permet de développer le marché pour tous.

 

Comment gérez-vous cette crise survenue avec le Covid, et quelles opportunités y voyez-vous ?

 

Il est certain qu’il faut se réinventer. On se rend bien compte qu’il est trop risqué d’avoir une seule typologie de client. Ma clientèle est essentiellement professionnelle. Je travaille à 70 % avec la restauration, suivie des cavistes (20 %) complétés de quelques entreprises. J’étais trop présent en restauration par rapport aux cavistes ou aux sites de ventes. Je souhaite travailler plus régulièrement avec les grands sites marchands à l’avenir, avec lesquels on peut faire un volume de ventes qu’on ne fait pas avec le CHR. L’une des références que j’importe, un vin toscan produit en biodynamie du domaine Tenuta de Valgiano fera d’ailleurs l’objet d’une vente sur le site « vente à la propriété » les prochains jours. L’essor de la vente à emporter, des livraisons, la curiosité accrue des consommateurs créent des opportunités, tout cela n’est pas bloqué.

 

On a constaté une présence accrue des vins étrangers sur le marché français ces dernières années. Cela va-t-il selon vous perdurer après la crise ?

 

Ce qui me fruste, quand on regarde la consommation de vins étrangers en France, c’est qu’on regarde uniquement les chiffres de la grande distribution, qui sont très en deçà de la réalité. À mon avis, l’avenir des grands vins étrangers ne va pas être remis en cause, cela n’est pas un effet de mode, ils sont installés et là pour rester, pour plusieurs raisons. Je le constate d’abord par le fait que de plus en plus de restaurants gastronomiques ou étoilés proposent des références étrangères. Une majorité de professionnels a travaillé à l’étranger ou voyagé, découvert ces vins et veut les faire essayer à ses clients. Par ailleurs, certains grands vins français atteignent des tarifs prohibitifs, cela crée un appel d’air pour beaucoup de grands vins étrangers, à commencer par ceux d’Italie aux prix bien plus mesurés. Les Français ont un à priori positif sur ces vins qui prennent le pas en termes de proximité et d’accords. Je reçois de nombreuses demandes de particuliers à la suite de leurs vacances en Italie.

 

Quels sont vos atouts ?

 

Dans l’esprit de beaucoup de gens, nous ne sommes qu’un intermédiaire qui fait venir les vins à la demande. Or, ce n’est pas le cas. Le travail d’un importateur consiste aussi à stocker. J’ai toujours 40 000 à 50 000 bouteilles en stock, et, si cela est lourd à porter, cela me met aussi à l’abri d’aléas conjoncturels. Je prends chaque année des allocations sur des vins très recherchés et c’est une force de les avoir à disposition et accessible, même quand les frontières sont bloquées !

 

Comment vont se profiler les choses quand les restaurants vont rouvrir ?

 

Le chiffre d’affaires va être ralenti, mais je pense que les gens auront plaisir à retourner rapidement dans les restaurants et seront prêts à se faire plaisir. Ceux qui ont du pouvoir d’achat auront l’envie de soutenir les lieux en commandant une belle bouteille.