La nouvelle est tombée comme une bombe. Pourtant, cela faisait longtemps que le président Donald Trump laissait sous-entendre son désir de prendre des mesures punitives envers plusieurs pays européens par une taxation concernant 150 produits locaux. Il est passé à l’acte le 18 octobre 2019. Vins français, fromages italiens, scotch ou encore café allemand voient leurs prix gonfler d’un quart de leur montant dès leur arrivée sur le sol américain. Une vendetta qui vise à répondre aux subventions de l’Europe à Airbus face à Boeing. Après les rumeurs d’une nouvelle augmentation de la taxe à 100 %, les choses semblent enfin s’apaiser entre la France et les États-Unis, pour, peut-être, revenir bientôt à la normale. Jordane Andrieu, ancien vigneron Bourguignon reconverti caviste à Los Angeles depuis 2013 répond à nos questions sur les tendances de marché et l’impact de cette taxe. Son espace dédié au vin à Beverly Hills, « Heritage fine wines » comporte une cave à vin, un bar et un restaurant centrés sur 240 crus, avec un enclin particulier pour le bio et une majorité de références françaises.
Gabrielle Vizzavona : La taxation Trump a-t-elle déjà commencé à impacter le marché et si oui, comment ?
Jordane Andrieu : La taxe Trump n’a pas encore eu de gros impact sur les prix, mais nous nous y préparons. Les importateurs avaient stocké en prévision de celle-ci et cela leur permet de contenir encore leur prix, mais pas pour longtemps. J’ai demandé à mon équipe de déguster des vins du Nouveau Monde afin de trouver une alternative et de nous préparer à cette hausse des prix, sachant que ma sélection est actuellement constituée de 90 % de vins européens, majoritairement français.
GV : La taxe à 100 % n’a finalement pas été adoptée ce qui est un soulagement, pensez-vous que celle de 25 % sera conservée ou retirée rapidement ?
JA : Pour celle de 100 %, j’avais peur, mais j’étais quelque part persuadé que nous trouverions une solution. Pour celle de 25 %, je ne suis pas certain qu’elle soit retirée rapidement. Dans la profession, on dit que pour chaque $100 de vin de l’Union européenne vendu aux États-Unis, 85 $ vont aux entreprises américaines. Les dommages causés aux entreprises américaines par la taxe actuelle de 25 % approcheront 10 milliards de dollars et entraîneront la perte de 12 000 emplois américains, sans compter les emplois indirects. Les Américains ont beaucoup à perdre...
GV : Quelle a été l’évolution du marché américain du vin les dix dernières années ?
JA : Les gens s’orientent vers des vins beaucoup plus abordables. Les cavistes qui, comme moi, sont dans des quartiers chics et ont des coûts élevés ne peuvent malgré tout pas pratiquer de marges trop importantes. Avec la vente en ligne, les gens ont beaucoup plus conscience des prix. Sur les grands vins, les marges sont assez faibles et sur les vins à plus de 100 dollars, les consommateurs comparent énormément les prix. Il faut aller chercher des références moins connues.
GV : Quelles sont les tendances vin aux États-Unis à l’heure actuelle ?
JA : La tendance aux États-Unis a toujours été orientée « varietals », c’est à dire cépage. Un Américain va plutôt choisir son vin en fonction du cépage avec lequel il est fait et non en fonction du lieu où il est produit. Le chardonnay et le cabernet sauvignon sont les cépages les plus populaires, juste avant le « red blend » (assemblage de cépages rouges), le pinot noir, le sauvignon blanc et le pinot gris. Cependant, la tendance change progressivement poussée par des consommateurs plus jeunes, les « millennials » qui ont 25/40 ans et qui sont plus curieux, qui marquent la fin de la « génération Parker ». Ils s’orientent plus facilement vers des vins d’appellation, certifiés bio ou biodynamiques. Les régions plus abordables, à l’image du Languedoc Roussillon, fonctionnent bien, car elles combinent plusieurs facteurs comme le bio, des prix abordables, de belles étiquettes et de jeunes vignerons qui confectionnent des vins moins extraits.
GV : Les tendances sont-elles les mêmes à Los Angeles ?
JA : L.A est assez influencé par les régions viticoles locales (Santa Barbara, Paso Robles, Napa, Sonoma, Central Coast), qui proposent des vins extraits et mûrs pour les rouges ou beurrés et riches pour les blancs. Là aussi, les habitudes changent en faveur de vins plus légers et moins boisés. Il faut pour cela changer les à prioris sur les cépages. Dans mon bar à vin, je suis souvent confronté la situation où un client me demande un blanc sec, précisant ne pas vouloir de chardonnay, car il trouve cela trop « crémeux ». Je lui sers un Bourgogne blanc nouvelle génération, avec de la tension, qu’il adore et il est surpris lorsque je lui dis que c’est un chardonnay. Il faut éduquer les consommateurs !
GV : Pensez-vous malgré tout que le consommateur américain connait mieux le vin qu’avant et qu’il y a plus d’intérêt pour lui de la part des générations Y et Z ?
JA : Oui, sans aucun doute, la génération des millennials connaît mieux les vins qu’elle consomme, et donc s’éloigne du réflexe « cépage » pour aller plus vers les appellations. Les outils mis à leur disposition leur donnent l’opportunité d’être plus informés et donc de consommer mieux.
GV : Quelles sont les sources qui permettent aux consommateurs de s’éduquer et de choisir ses vins ?
JA : Les applications telles que Vivino, les informations sur internet et le nombre de bars à vin qui se multiplient et offrent une éducation à leurs clients sont pour moi les principales sources formatrices. Il est plus fréquent parmi les restaurants de recruter des directeurs du vin, des sommeliers ou de faire appel à un spécialiste pour constituer leur carte des vins. Ces experts rendent la connaissance accessible à leurs clients. En revanche, je ne pense pas que la presse traditionnelle ou les guides apportent beaucoup ; c’est trop « old school ».