Pionnier du renouveau des vins du Languedoc, l’aventure commence en 1973 lorsque Georges Bertrand acquiert la propriété familiale de Villemajou. Gérard Bertrand transforme l’affaire en un empire qui cumule aujourd’hui quinze vignobles couvrant 850 hectares de vignes réparties sur une trentaine d’appellations du Languedoc et servant à la confection de plus de 130 cuvées (allant de vins sur le fruit distribués en grande surface, aux grands crus du Languedoc à la complexité exemplaire, destinés à la haute cuisine). En 2002, une profonde réflexion est menée sur l’expressivité des terroirs. Celle-ci aboutit à la conversion en biodynamie de la totalité du vignoble qui sera achevée d’ici 2023, couronnant Gérard Bertrand plus grand producteur en biodynamie au monde. Un pied de nez à ceux qui estiment que ce mode de culture n’est pas compatible avec un vignoble étendu.
Gabrielle Vizzavona : Comment est né votre intérêt pour la biodynamie ?
Gérard Bertrand : À l’âge de 22 ans, j’avais quelques problèmes hépatiques qui ont été résolus grâce à l’homéopathie. Je me soigne par elle depuis plus de trente ans et cela m’a permis d’appréhender la puissance de l’information transmise et comment le suprasensible peut régler une machine aussi complexe que le corps humain. Forcément, cela intègre aussi une dimension spirituelle et philosophique. En 2002, j’ai lu « Le cours aux agriculteurs » de Rudolph Steiner. L’approche n’était pas facile. Je l’ai lu trois fois d’affilée, car la première fois je n’ai pas compris grand-chose ! Je suis cartésien, j’ai donc ensuite coupé en deux les 4 hectares de la plus vieille vigne du domaine de Cigalus pour en cultiver une moitié en conventionnel et l’autre en viticulture biodynamique. Pendant 2 ans, nous avons pu constater une différence spectaculaire à la vigne comme en cave. C’était une vigne qui était prête à être arrachée, mais que nous avons régénérée grâce à cela. Les vins étaient plus frais, plus minéraux. Peu à peu, nous avons accru la proportion de vignes en biodynamie pour atteindre aujourd’hui 850 hectares convertis ou en cours de conversion. J’ai plus de cent personnes impliquées à plein temps dans le programme biodynamique et cela a changé leur vie tout autant que la mienne.
GV : Est-ce indispensable pour le futur, que plus de conversions s’entament ?
GB : Rien n’est indispensable. Nous ne sommes pas obligés de boire du vin pour vivre, alors que nous sommes obligés de manger. Le vin doit au minimum apporter du plaisir, un goût, voire une émotion et un message. Il existe une multitude de variétés et autant goût potentiels du cépage. Mais, quand on fait l’alchimie entre un cépage, un terroir et un climat, on obtient un goût unique. Le goût de quelque part, c’est quand même plus excitant que le goût de quelque chose.
GV : Le « goût de quelque part » est-il poussé par la biodynamie ?
GB : La biodynamie révèle le goût du terroir et permet aux vignes d’aller plus loin et d’avoir un meilleur équilibre. Quand les sols et les sous-sols sont vivants et les écosystèmes en harmonie, le système racinaire se développe et cela encourage l’expression d’une provenance. Cette biosphère mérite la plus grande attention. Sur un terroir compact, où l’on utilise beaucoup de produits chimiques, la vie microbienne est limitée et par conséquent, la plante interagit moins avec le sol.
GV : Ces dernières années, de nombreux médias ont révélé de façon alarmiste l’utilisation de produits chimiques pour traiter les vignes. Les résidus que l’on peut parfois trouver dans le vin sont-ils dangereux pour la santé ?
GB : Non, car 99 % des résidus de produits phytosanitaires sont lessivés pendant la fermentation. Il ne reste qu’un pour cent au maximum, ce qui n’est pas dangereux pour la santé. Le problème ce n’est pas celui-là. Pour moi, il s’agit d’un engagement militant d’homme et de vigneron en pleine conscience. Le fait de ne pas utiliser de produits chimiques implique que nous renforçons la biodiversité et la vie microbienne et protégeons les sols, les sous-sols et donc, les cours d’eau, puisque quand il pleut, l’eau s’infiltre et rejoint les cours d’eau. Il y a potentiellement des résidus de pesticides dans l’eau que nous buvons, et moins il y en aura, mieux ce sera. Il y en a deux enjeux : d’abord, améliorer la qualité intrinsèque du vin, ensuite, la sensibilité que l’on veut avoir de renforcer l’expression d’un terroir et d’une origine. Le bio et la biodynamie aident à cela.
GV : Que dites-vous aux vignerons qui estiment qu’une conversion est compliquée par rapport au climat qu’ils subissent ?
GB : Tout est compliqué. Faire du bio, c’est une démarche. Faire de la biodynamie, c’est aller encore plus loin, prendre conscience que nous sommes tous interconnectés. Quand nous regardons le ciel, il faut comprendre qu’il y a plus de planètes dans l’univers que d’êtres humains sur terre. Tout cela nous ramène au microcosme et au macrocosme, l’infiniment petit et l’infiniment grand, et nous, au milieu. Les êtres humains ne sont pas là par hasard, parmi le règne végétal, minéral et animal. Nous avons un rôle à jouer. Petit à petit, il faut que chaque vigneron éveille sa conscience et se demande quelles sont ses priorités. L’argent et le succès peuvent être la conséquence, mais ne peuvent certainement pas être la cause, qui est de faire le meilleur vin possible.
GV : Pensez-vous que nous progressons dans cette direction ?
GB : Oui, il y a de plus en plus de vignerons qui font des vins de précision. Des années 1980 à 2000, nous sommes arrivés, grâce aux techniques œnologiques et au travail dans les vignes, à améliorer la qualité moyenne des vins. Depuis vingt ans, il n’y a plus de mauvais vins. Le problème est que nous sommes allés un peu trop loin dans la standardisation. Maintenant, il faut essayer de retrouver l’originalité du lieu par des pratiques que nous avions délaissées. Il faut garder le meilleur de la technique récente et la transcender par le retour à l’essence même d’un vin qui vient de la vigne et d’un terroir donné.