Interview : « Les sommeliers sont dingues d’acidité »

Par Gabrielle Vizzavona

Terry Kandylis, meilleur sommelier du Royaume-Uni 2016, explique les tendances du marché anglais.

Après avoir travaillé au sein d’institutions gastronomiques prestigieuses en Grèce (son pays d’origine) et au Royaume-Uni, Terry Kandylis rejoint le Club 67 Pall Mall comme chef sommelier. Ouvert en 2015, ce premier club privé dédié au vin du monde propose à ses membres un choix hallucinant de 750 vins au verre et de plus de 4000 flacons provenant de 42 pays. Les cuvées oscillent entre noms iconiques et trouvailles chinées au gré des explorations vinicoles. Terry, qui cumule les titres de meilleur sommelier de Grèce et du Royaume-Uni, nous donne ses impressions sur les attentes et les tendances du marché anglais.

Gabrielle Vizzavona :Le consommateur anglais est-il plus sensible au cépage ou à l’origine géographique d’un vin ?

 

Terry Kandylis : Les consommateurs anglais sont très traditionnels dans leur approche du vin et valorisent certaines régions plus que d’autres, parfois sans trop comprendre pourquoi. Par exemple, ils apprécient les vins de Sancerre et de Chablis pour leur style incisif, même si un fort pourcentage d’entre eux ne sait pas qu’ils sont constitués de sauvignon blanc et de chardonnay et pense ne pas apprécier ces cépages ! Plus généralement, les vins d’entrée de gamme valorisent le cépage, avec les vins du Nouveau Monde qui dominent les cartes de vin des pubs et des restaurants populaires. Pour les amateurs de Bordeaux de Bourgogne, le cépage n’a aucune importance, l’attraction vient du prestige de la marque et de sa valeur de marché.

 

GV : Il semble cependant que les consommateurs anglais soient relativement bien éduqués au vin ?

 

TK : Londres est la Mecque du vin, on y trouve à peu près tout ce que l’on veut. Le fait que le Royaume-Uni soit loin de produire le volume suffisant pour couvrir la demande intérieure l’oblige à importer du monde entier. Les Anglais veulent vraiment s’éduquer au vin et comprendre. Il ne faut pas oublier qu’une majorité des formations les plus prestigieuses sur le vin sont anglaises.

 

GV : Sentez-vous déjà les changements impliqués par le Brexit ?

 

TK : Le Brexit a déjà énormément impacté l’univers de la restauration, avec de nombreux lieux qui manquent de personnel de salle et de sommeliers. De nombreux Européens ont déjà quitté le pays ou ne souhaitent plus prendre le risque de venir y travailler. Malheureusement, la sommellerie attire peu les Anglais de souche. L’autre impact est monétaire ; avec un pound faible, l’augmentation du prix du portfolio de nombreux importateurs peut atteindre 20 %.

 

GV : Quelles catégories de vins ont gagné des parts de marché ces dernières années au Royaume-Uni ?

 

TK : La catégorie des vins « naturels » a connu une belle progression ces dernières années, bien que ce marché soit très centré sur une certaine démographie et dans certains lieux, avec l’est de Londres comme cible principale. Le rosé gagne des parts de marché depuis 2/3 ans tout comme les vins effervescents anglais.

 

GV : Quelles sont les tendances au Royaume-Uni concernant les cépages et les appellations ?

 

TK : Le malbec argentin est toujours très recherché du public féminin. De la même façon, le pinot noir vit ses heures de gloire. Pour les blancs, c’est fascinant d’observer la croissance exceptionnelle du grüner veltiner et de l’alvarinho ces 5 dernières années. Ces deux cépages ont vraiment réussi à se positionner comme des marques, et leur style frais, fruité et facile à boire séduit beaucoup. Le chenin blanc de Loire, les crus du Beaujolais, les vins des îles Canaries et quelques régions autrefois méconnues d’Espagne — telles Bierzo, Ribeira Sacra ou Sierra de Gredos — deviennent plus à la mode, poussées par les sommeliers. Une majorité d’entre nous est dingue d’acidité. Par conséquent, nous adorons le riesling, le chenin, le gamay ou encore les vins du Jura. Les vins grecs connaissent aussi leur minute de gloire tout comme les vins géorgiens.

 

GV : Quels critères retenez-vous pour sélectionner de nouvelles références à ajouter à la carte des vins du club ?

 

TK : Je regarde de nombreux facteurs incluant la typicité du cépage ou du lieu, la buvabilité (nous souhaitons offrir des vins qui sont prêts à boire), l’originalité, la valeur et l’histoire. Comme je le dis souvent à notre équipe : l’histoire est essentielle et intéresse nos clients. Le monde du vin a changé de façon spectaculaire ces dix dernières années. Je me souviens comme c’était difficile de convaincre ma clientèle d’essayer autre chose d’autre que ce dont elle avait l’habitude. Désormais ; j’ai des clients qui me demandent de leur servir de l’assyrtiko sans même qu’ils sachent que je suis Grec ! Le consommateur est beaucoup plus ouvert aux suggestions, il veut découvrir des nouveautés, sortir des sentiers battus.

 

GV : Que recherchez-vous lorsque vous vous rendez à un salon comme Wine Paris ?

 

TK : Entretenir son réseau est essentiel. Je cherche à revoir des producteurs que je connais ou à me présenter à ceux que je n’ai pas encore eu l’occasion de rencontrer précédemment. C’est aussi le moment idéal pour découvrir les pépites qui pourraient rejoindre notre carte des vins, même si elles ne sont pas encore importées au Royaume-Uni.